POINT DE VUE DES HONORABLES DEPUTES PROVINCIAUX DU NORD-KIVU SUR LA GESTION DE L’ETAT DE SIEGE ADRESSE A SON EXCELLENCE MONSIEUR LE PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE DEMOCRATIQUE DU CONGO
(Avec l’expression de nos hommages les plus déférents)
à KINSHASA/GOMBE
Cc :
- Honorable Président de l’Assemblée Nationale,
- Honorable Président du Sénat ;
- Honorables Sénateurs et Députés nationaux élus du Nord-Kivu ;
- Monsieur le Premier Ministre et Chef du Gouvernement ;
(Avec l’expression de nos hommages les plus déférents) - Monsieur le Vice-premier Ministre et Ministre de l’Intérieur, Sécurité, Décentralisation et Affaires coutumières ;
- Monsieur le Ministre d’Etat et Ministre de la Justice et Garde des Sceaux ;
- Monsieur le Ministre de la Défense Nationale et Anciens Combattants ;
- Monsieur le premier Président de la Cour constitutionnelle ;
(Tous) à KINSHASA - Honorable Président de l’Assemblée Provinciale du Nord-Kivu ;
- Monsieur le Gouverneur Militaire de la Province du Nord-Kivu
(Tous) à GOMA.
Excellence Monsieur le Président de la République ;
Neuf mois après la proclamation de l’état de siège par votre autorité, nous avons jugé utile de vous partager encore une fois, en terme d’évaluation objective, l’ensemble de nos constats, nos craintes et nos considérations avant de formuler quelques recommandations.
En effet, personne ne saurait nier la nécessité et le besoin qui ont justifié la prise d’une décision si courageuse de proclamation d’un état de siège en Ituri et au Nord-Kivu, deux provinces en proie à des menaces graves et à l’insécurité grandissante depuis plusieurs années.
Il reste vrai que les populations de la Province du Nord-Kivu ont tant souffert. Elles sont, depuis plus de deux décennies, victimes des tueries, des atrocités, des déplacements massifs, des vols, des viols, des pillages et destruction des biens, des tracasseries multiformes ainsi que de multiples violations et abus des droits humains.
Certes l’état de siège serait, une réponse aux cris de détresse, aux plaintes et aux demandes persistantes des populations de deux provinces actuellement en situation spéciale.
C’est dans ce cadre que nous invitons votre autorité à bien vouloir prendre connaissance du contenu de ce document tout en saluant la volonté et la détermination que vous avez de restaurer la sécurité et l’autorité de l’Etat sur toute l’étendue des Provinces concernées par cette mesure spéciale.
Nous profitons également de cette occasion pour rendre un vibrant hommage aux forces armées de la République Démocratique du Congo et particulièrement aux hommes de troupes qui sont tombés sur le champ d’honneur.
I. Constats, craintes et considérations
- Depuis la proclamation de l’état de siège, nos yeux ont vu moins que ce qu’ils croyaient voir par rapport aux attentes suscitées par la proclamation de l’état de siège. Alors que ce dernier devait être entendu comme une mesure véritablement exceptionnelle, bien définie dans le temps et dans l’espace, on se rend malheureusement compte que :
- L’état de siège a été proclamé sans avoir préalablement voté une loi portant modalités de son application conformément à l’article 85 de la constitution de la République Démocratique du Congo et ce, jusqu’à ce jour. Il l’a été pour une durée constitutionnelle de trente (30) jours, mais sans chronogramme préalable pour servir de boussole quant au déploiement des animateurs, à la conduite des opérations militaires, aux actions à mener et aux résultats à atteindre.
- L’état de siège est beaucoup plus politico-médiatique qu’opérationnelle et n’est resté qu’un slogan et un cynisme contre notre population longtemps meurtrie. Ce slogan a, non seulement constitué une alerte suffisante, mais également il a offert une occasion à la cible de l’état de siège de mieux comprendre ce dont il était question, de mesurer ses forces et ses faiblesses pour ainsi brouiller toutes les cartes et diminuer les chances de sa réussite ;
- L’état de siège est prorogé, non sur base des résultats des opérations sur terrain ou des avancées constatées au cours d’une évaluation, plutôt selon les intérêts, les humeurs et les attitudes des décideurs. Le risque devient ainsi évident d’imposer à la population des conditions de vie exceptionnellement restrictives durant une période indéterminée. La population n’étant plus à mesure de supporter indéfiniment ces mesures restrictives, des signaux clairs de soulèvement commencent à surgir dans différentes circonscriptions et, cela présage dans un futur proche, l’ingouvernabilité de notre chère et belle Province du Nord – Kivu ;
- L’Etat de siège a été étendu aux zones où l’intégrité du territoire national n’est pas menacée ou de nature à affecter profondément le fonctionnement régulier des institutions. Ainsi, les efforts et les moyens limités du gouvernement sont gaspillés et/ou dilués sur des vastes étendues pour ne rien produire comme résultat.
- Neuf mois après, les opérations militaires annoncées avec pompe dans le cadre de l’état de siège ne sont jamais lancées contre les groupes armés tant étrangers que nationaux et l’armée ne qu’à la défensive. Comme par le passé, la population continue à assister impuissamment aux déplacements massifs des populations, aux tueries atroces, aux assassinats et aux meurtres, au kidnapping, aux phénomènes Kasuku et 40 voleurs, aux pillages et aux vols des biens des paisibles citoyens ainsi qu’aux multiples tracasseries de toute sorte, à l’occurrence la perception illégale des sommes indues, l’érection des barrières payantes tant par les groupes armés que par les forces armées loyalistes sur toute l’étendue de la province.
- Lorsqu’une mesure dite exceptionnelle dure longtemps, elle cesse de l’être, elle se normalise, on s’y habitue, elle dévie ses objectifs et suscite d’autres ambitions que d’aucuns peuvent imaginer.
- La gestion prolongée du pouvoir par des militaires présente le risque de pécher contre la Loi organique N°11-012 du 11 août 2011 portant organisation et fonctionnement des forces armées qui stipule en son article 3 : « les Forces Armées de la République Démocratique du Congo sont une Armée Nationale, Républicaine, Apolitique et soumise à l’autorité Civile ».
- Contrairement aux articles 1 et 2 de l’ordonnance n°21/016 du 03 mai 2021 portant mesure d’application de l’état de siège, les membres des Gouvernements provinciaux et des Assemblées provinciales ne jouissent nullement de leurs avantages sociaux, les surprises sont désagréables. Le bien-être collectif de la population que les autorités de l’état de siège devraient assurer n’est pas au rendez-vous. Les autorités provinciales militaires échappent à tout contrôle et utilisent à leur guise les recettes propres de la province qui, pourtant, devaient servir au développement de cette dernière et ce, en dépit des fonds d’investissement, de la rétrocession et des fonds liés aux opérations militaires. Par ailleurs, les hommes de troupe et leurs commandants continuent à croupir dans leur misère légendaire.
- Nous avons plusieurs fois sollicité auprès du Gouverneur militaire des séances d’échange autour de la vie socio- économique et sécuritaire de la province, malheureusement sans succès ; ceci dénote d’un mépris avéré vis-à-vis de la notabilité de la Province, à l’occurrence l’institution Assemblée provinciale, la société civile et les chefs traditionnelles qui, pourtant, peuvent aider à la bonne mise en œuvre des opérations.
- Les relations Civilo-militaires sont très faibles, pour ne pas dire inexistantes. En conséquence, l’état de siège souffre d’un manque profond d’appropriation par la population et parait comme un complot contre la Province du Nord-Kivu car dit-on : « si tu fais quelque chose pour moi sans moi, tu le fais quelque part contre moi ».
- Tout porterait à croire qu’il y aurait un complot contre la province du Nord-Kivu : freiner le développement de la province, l’isoler des élections prochaines, faciliter le vieux projet de la balkanisation ainsi que museler sa classe politique ; chose que la population nord kivutienne n’est pas prête à endosser.
- Depuis l’entrée en vigueur de l’état de siège, l’administration publique provinciale est paralysée. S’appuyant sur l’article 2 de l’Ordonnance n°21/016 du 03 mai 2021 portant mesure d’application de l’état de siège qui stipule : « les autorités provinciales disposent de l’Administration publique de la province…et de tous les services nationaux en Province », nombreux dossiers qui requièrent la célérité pour le bien-être de la population sont restés en vielleuse. Les projets de développement qui étaient en cours ont tout de suite été abandonnés, les routes se détériorent davantage au risque de laisser des trous béants après l’état de siège comme des entreprises minières qui creusent les minerais et abandonnent tous les puits.
Il est, en effet, inconcevable de confier le travail d’un Gouvernement provincial jadis constitué de près de soixante (60) personnes à un cabinet constitué de cinq collaborateurs, nouveaux pour la plupart, qui doivent commencer à tout lire pour comprendre avant de poser un quelconque acte. La conséquence d’une telle situation est que, neuf mois après, la population du Nord-Kivu attend toujours des solutions aux problèmes qui ont été soumis à l’autorité provinciale de bonne heure. Tenez, aujourd’hui des militaires sont nommés dans la fonction publique provinciale.
Cette paralysie administrativement préjudiciable se fait également observer dans l’Administration de la justice où des criminels sont chaque jour relâchés, leur offrant ainsi des occasions pour se venger contre leurs dénonciateurs.
Par mauvaise interprétation de l’article 3 de l’ordonnance N° 21/015 du 03 mai 2021 portant proclamation de l’état de siège sur une partie du Territoire de la République Démocratique du Congo qui stipule : « l’action des juridictions civiles sera substituée par celle des juridictions militaires » et de l’article 6 de l’ordonnance n°21/016 du 03 Mai 2021 portant mesures d’application de l’état de siège qui stipule : « pour toute la durée de l’état de siège, la compétence pénale des juridictions civiles est dévolue aux juridictions militaires ».
Voilà pourquoi le risque s’accroit d’assister à la justice populaire et au rançonnement. Il n’est plus à démontrer qu’il y a aujourd’hui une surpopulation terrible dans les prisons, les cachots et les amigos sans être jugés sur l’étendue de la Province avec comme conséquence le rançonnement des justiciables, la promiscuité et le risque de contamination et de propagation des maladies. - Ne pas accorder aux membres du Gouvernement et de l’Assemblée provinciale leurs avantages sociaux conformément à l’article 1er de l’ordonnance n°21/016 du 03 Mai 2021 portant mesure d’application de l’état de siège, c’est déroger au droit à la vie et violer l’article 4 de l’ordonnance n°21/015 du 03 Mai 2021 portant proclamation de l’état de siège.
- Depuis le 4 juillet 2021, date de la signature de l’ordonnance portant création, organisation et fonctionnement du Programme de Désarmement, Démobilisation, Relèvement Communautaire et Stabilisation (P-DDRCS), jusqu’à ce jour, seuls les animateurs de ladite structure ont été désignés mais le cadre d’accueil n’a jamais été installé. Nombreux jeunes combattants qui ont exprimé leur volonté d’adhérer au processus de paix ne savent auprès de quelle structure se présenter. Et, la prise en charge de ceux qui se sont déjà rendus pose problème, ce qui poussent la plupart des rendus à regagner la brousse pour se faire recruter dans les nouveaux groupes armés.
- Alors que l’exploitation des minerais est comptée parmi les causes profondes de l’instabilité et de l’insécurité dans la région, aucune mesure n’est prise par les animateurs de l’état de siège tendant à couper les liens avec l’exploitation illégale et le commerce illicite des minerais dans les deux provinces. En outre, certains militaires loyalistes se sont déjà versés dans l’exploitation illicite du bois, du cacao, des minerais, etc. La présence irrégulière des hommes en armes est toujours signalée dans et autour des zones minières. En dépit des multiples dénonciations sur l’exploitation illégale de cacao, du bois et des minerais, l’affairisme continue en toute quiétude.
De plus, certains militaires qui serviraient au front se trouvent être déployés dans des pâturages des grands dignitaires. - Contrairement au prescrit de l’article 1er de l’ordonnance N°21/016 du 03 Mai 2021 portant mesures d’application de l’état de siège, à son alinéa 3, il est inconcevable et inadmissible que, dans un Etat de droit, les prérogatives des Assemblées provinciales soient transférées aux autorités militaires, qui ne sont pas l’émanation du peuple, qui ne sauraient représenter le peuple, légiférer ou assurer le contrôle de l’action de l’exécutif qu’elles gèrent elles-mêmes. Il y a lieu également de retenir que la suspension momentanée des Assemblées provinciales tel que le veut l’article 1er de l’ordonnance portant mesures d’application ou des immunités et tout privilège des poursuites tel que prévu à l’article 4 de l’ordonnance portant proclamation de l’état de siège, préjudicie gravement le mandat des Députés provinciaux.
Le mandat du député provincial est de cinq (5) ans. Il continue à courir jusqu’à l’expiration du délai constitutionnel. Aucune raison ne justifierait donc que l’opprobre et le discrédit lui soient jetés à longueur des journées et ses avantages légaux lui soient privés par les autorités militaires de l’état de siège. Nous fustigeons les arrestations arbitraires à l’endroit des paisibles citoyens et des Honorables députés, notamment l’Honorable député provincial Didier KAMBALE LUKOGHO depuis plus de trois mois. Nonobstant, les électeurs du Nord-Kivu continuent à placer leur confiance en leurs Députés provinciaux. - Alors que jadis l’on parlait du triangle de la mort en territoire de Beni, une façon de dire que l’ennemi était localisable, aujourd’hui l’armée a avoué que l’ennemi s’est éparpillé sur le territoire entier. Il en est de même dans d’autres entités de la Province. Il s’observe d’ailleurs des défections dans les rangs des forces loyalistes en faveur des groupes armés et ce, à cause de la légèreté dans la mise en œuvre de l’état de siège.
- Il est navrant de constater que c’est en période d’état de siège que le M23, jadis neutralisé sans état de siège, revienne avec force, tuer comme pas possible nos militaires et occuper des villages en toute quiétude.
Pour espérer réussir avec le peuple et atteindre les résultats pour lesquels l’état de siège a été proclamé, nous recommandons ce qui suit :
II. Recommandations
1) Lever l’état et éventuellement migrer vers un état d’urgence sécuritaire en conformité avec le programme du Gouvernement Jean – Michel Sama Lukonde pour une durée bien déterminée, des objectifs essentiellement de paix et de sécurité avec des indicateurs bien définis ;
2) Doter les forces armées de la République d’une logistique conséquente et des moyens importants à la hauteur des actions à mener dans le cadre des opérations militaires de routine ;
3) Rendre opérationnel et sans plus tarder, le Programme de Désarmement, Démobilisation, Relèvement Communautaire et Stabilisation (P-DDRCS) dans les entités non couvertes par les opérations militaires de l’état de siège ;
4) Identifier et punir sévèrement les officiers militaires qui s’adonnent à la mafia, qui sont impliqués dans les magouilles, qui collaborent avec les groupes armés, qui détournent les fonds des opérations et qui violent les droits humains ;
5) Réhabiliter les institutions démocratiques provinciales dans leurs prérogatives constitutionnelles ;
6) Réhabiliter les juridictions civiles dans leurs missions habituelles tout en renforçant le nombre de magistrats, sans oublier l’amélioration de leurs conditions de travail ;
7) Procéder au désengorgement des milieux carcéraux et à l’amélioration des conditions carcérales.
8) Ne pas négliger les cris d’un peuple en détresse qui vous sont déjà parvenus par le biais de nombreux notables du nord Kivu, y compris les chefs des confessions religieuses ;
9) Le coordonnateur des opérations conjointes étant déjà nommé pour les deux provinces concernées par l’état de siège, il sied de décharger les deux gouverneurs militaires afin qu’ils servent la République dans l’armée pour ainsi réhabiliter l’administration civile.
Veuillez agréer, Excellence Monsieur le Président de la République et Chef de l’Etat, l’expression de nos sentiments patriotiques.
Fait à Goma, 02 Février 2022
Les Députés provinciaux du Nord-Kivu
Bien
Besoin d’argent liquide? Lancez ce robot et voyez ce qu’il peut faire. https://go.cuxavyem.com/0j35
Faites de votre ordinateur votre instrument de gain. Telegram – @Cryptaxbot
Il n’est plus nécessaire de chercher un emploi. Travaillez en ligne. Telegram – @Cryptaxbot